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Accidents de deux-roues : comment protéger efficacement les scootéristes ?


Rouler sans protections, comme gants ou chaussures fermées, expose à des blessures graves en cas de chute. ©DM
Rouler sans protections, comme gants ou chaussures fermées, expose à des blessures graves en cas de chute. ©DM
Tahiti, le 5 septembre 2025 - Depuis le début de l’année, 27 Polynésiens ont perdu la vie sur les routes du Fenua, dont de nombreux scootéristes. Si l’alcool, la drogue et les comportements dangereux en sont les causes principales, d’autres facteurs aggravent la situation : conduite en savates, casques vétustes et non homologués, absence de gants et, surtout, manque de formation adaptée. Dossier. 
 
Que le premier qui n’a pas roulé, en Polynésie, sur un scooter en savates, short et tee-shirt, jette la pierre. Pourtant, conduire un deux-roues sans chaussures fermées, pantalon long et gants expose, en cas d’accident, à des brûlures et blessures graves. Chaque chute se paie cher : lacérations, fractures, parfois même la perte d’un doigt de pied.
 
Les parties du corps exposées risquent, en cas de chute, des plaies profondes. Porter des protections, comme des gants, permet non seulement de préserver la peau, mais aussi de limiter le risque de contamination en cas de fracture ouverte”, explique un chirurgien orthopédiste, membre de la cellule SOS main de la clinique Paofai.
 
“Le deux-roues, le transport le plus dangereux”
 
Le deux-roues motorisé, c’est déjà le moyen de transport terrestre le plus dangereux du monde. Qu’on soit équipé ou non”, rappelle Nino Bonis, directeur de l’association Prévention routière en Polynésie. Pour lui, la base est claire : limiter la casse passe forcément par l’équipement, du 50 cm³ jusqu’au 1 000 cm³. “Sauf que, nous à Tahiti, culturellement, on ne le fait pas, notamment à cause de la chaleur. Et il ne faut pas rêver que les mœurs changent”, reconnaît-il.
 
Pascal Brisbout, gérant du magasin Fenua Bikers et motard lui-même, conseille “fortement” les gants homologués CE, renforcés à trois points. Au-delà des équipements légaux, il recommande aussi de s’habiller correctement : veste fermée, pantalon long et surtout chaussures fermées. “Le short et les savates, c’est zéro protection”, insiste-t-il.
Un constat partagé par Jacky Teuru, de l’association Local Rider 987 : “J’ai donné le goût des gants à certains. Mais ces équipements devraient être obligatoires pour les petits cylindrés”, regrette-t-il, tout en soulignant que les prix restent souvent élevés et les modèles pas toujours adaptés à la chaleur polynésienne. 
 
Le gérant de Fenua Bikers rappelle également qu’il existe des sièges adaptés pour transporter les enfants à l’arrière d’un scooter ou d’une moto. “Beaucoup de parents ne le savent pas, mais il existe des chaises bébé homologuées pour deux-roues, avec repose-pieds et harnais. C’est bien plus sûr que de les asseoir simplement derrière, comme on le voit trop souvent”, conseille-t-il.


Le casque : un réflexe en progrès
 
Si le code vestimentaire reste à améliorer, le port du casque, lui obligatoire, semble entrer progressivement dans les habitudes. Pour sensibiliser les jeunes, la Direction des transports terrestres (DTT) a lancé une campagne originale avec DJ Harmelo : une chanson intitulée Mets ton casque, répétitive mais entraînante, destinée à ancrer ce réflexe dès l’enfance.
 
Reste qu’un autre problème persiste : la vétusté des casques. “Les gens viennent avec des modèles de 20 ou 30 ans. Il n’y a plus de visière, plus de jugulaire, mais comme c’est leur casque, ils continuent à l’utiliser”, déplore Renaud Mandiau, gérant de l’auto-moto école Warnings.
 
Pour lever le frein du coût, Fenua Bikers, en partenariat avec le haut-commissariat et le comité des entreprises d’assurance Cosoda, organise régulièrement des opérations “Échange ton casque”. Le principe est simple : tout conducteur peut venir déposer son ancien modèle et repartir avec un casque neuf et homologué pour seulement 2 500 francs (contre environ 9 000 francs en entrée de gamme). La prochaine opération aura lieu le 9 septembre prochain. 
 
Un vieux casque, c’est un casque de plus de cinq ans, ou qui a subi une chute. Même si les dégâts ne se voient pas, la matière interne peut être fragilisée et céder lors d’un second impact”, rappelle Pascal Brisbout. Les anciens modèles sont alors systématiquement récupérés et détruits, pour éviter qu’ils ne continuent à circuler.
 
En Polynésie, le port du casque est bien obligatoire. Mais pour le reste, Sandra Forlini, la directrice par intérim de la DTT, rappelle que, pour l’instant, les gants ou chaussures fermées ne sont pas obligatoires, mais “le sujet reste sur la table”
 
La vétusté ne concerne pas seulement les casques, mais aussi les scooters eux-mêmes. Certains roulent dans un état inquiétant, sans que les forces de l’ordre puissent intervenir. “On voit des épaves qui circulent sur la route. Mais comme il n’existe pas de fourrière en Polynésie, elles ne peuvent pas être saisies”, confirme le directeur de la prévention routière. Un constat partagé par la DTT, dont la directrice par intérim juge le sujet “intéressant” et assure qu’il fait partie des pistes de travail. La mise en place d’une fourrière pour deux-roues permettrait en effet de retirer de la circulation les engins les plus dangereux.
 
Plus largement, l’administration travaille avec l’État à un plan d’action en sécurité routière et souhaite créer un observatoire de l’insécurité routière. L’objectif : mieux comprendre les causes réelles des accidents et de leur gravité, afin de cibler les futures réformes réglementaires. “À terme, je souhaite travailler sur la question des équipements”, indique-t-elle, tout en soulignant que la priorité reste le renforcement de la prévention et de l’éducation routière, notamment face aux comportements à risque liés à l’alcool et à la vitesse.


La prévention paie, mais les lacunes persistent
 
Lutter contre l'insécurité routière, c'est affaire de culture, formation et répression”, résume Nino Bonis. C’est justement sur ce terrain de la prévention que l’association Prévention routière de Polynésie agit depuis plus de 25 ans. Ses formatrices sillonnent chaque année les collèges et lycées de toutes les îles, sensibilisant 10 000 à 12 000 jeunes aux dangers de la route. Un travail de fond qui, selon son directeur Nino Bonis, porte ses fruits : certains élèves adoptent de meilleurs comportements en deux-roues et incitent même leurs parents à plus de prudence.
 
Mais cette action en milieu scolaire ne comble pas toutes les lacunes. L’absence de formation passerelle interroge de plus en plus les professionnels et certains utilisateurs de deux-roues. “C'est carrément un manque. On ne peut pas conduire, même en 125 cm3, sans avoir un minimum de formation en deux-roues”, constate Nino Bonis. Pour rappel, en métropole, une formation obligatoire de 7 heures permet aux titulaires d’un permis B de conduire un 125 cm³ (permis A1). En Polynésie, cette étape n’existe pas : au bout de deux ans de permis B local, l’équivalence permet d’accéder directement à un 125 cm³, sans formation complémentaire. Or, comme le souligne Sandra Forlini, “on ne s’improvise pas pilote d’engin à deux-roues”. Ce manque est reconnu par la DTT, qui assure que le dossier est actuellement “en travail”.
 
À cela s’ajoute une autre difficulté : les infrastructures pour la formation des motards. La piste dédiée aux examens moto, qui devait fermer pour les travaux des Jeux du Pacifique, restera finalement ouverte. “On est en train de travailler sur une solution pour assurer une continuité lorsqu'on ne pourra plus occuper le site. Mais pour l'instant, il n'y a pas d'interruption de service public au niveau des permis moto”, assure Sandra Forlini. 
 
Quant à la répression, Nino Bonis la juge également “efficace”, avec notamment des stages ou encore des pratiques de “remise de peine” conditionnée (par exemple, acheter un casque au lieu de payer l’amende).
 
Comment comprendre alors que le nombre d’accidents en deux-roues reste tout de même élevé ? Les jeunes en scooters de 50 cm³ qui conduisent les deux-roues depuis tout petit semblent particulièrement touchés. “Les jeunes ont l'information. Ils savent tout. Après, ce qu’ils en font, c’est une autre chose”, déclare Nino Bonis avant d’ajouter : “Il faut travailler sur le cerveau, c'est le seul moyen d’améliorer les choses”.
 
Malgré tout, le directeur de l’association Prévention routière tient à souligner un point encourageant : “Dans les années 1990, plus de 60 personnes perdaient la vie chaque année sur les routes de Polynésie. Aujourd’hui, nous sommes autour de 20 à 30 décès, alors même que le trafic est plus dense et qu’il y a beaucoup plus de véhicules. C’est la preuve que la prévention et la sensibilisation portent leurs fruits.”
 
Une raison d’espérer, donc, mais qui n’exclut pas la vigilance et la nécessité de continuer à sensibiliser tous les usagers de la route.


Réglementation deux-roues en Polynésie française

BSR (Brevet de sécurité routière) obligatoire pour les conducteurs nés après le 1er janvier 2000 (≤50 cm³ ou 2 000–4 000 W scooters/vélos électriques), à partir de 14 ans. 
 
A1 (50–125 cm³) : dès 16 ans après examen, ou équivalence après 2 ans de permis B (mais seulement pour un permis obtenu en Polynésie).
 
Permis A (>125 cm³) : accessible à partir de 18 ans.
 
Trottinettes électriques (EDPM) : assurées, casque obligatoire, une seule personne, à partir de 14 ans avec initiation à la sécurité routière.
 
Équipement pour les deux-roues : 
 
- Casque obligatoire (attaché, norme moto ou NTA 8776 si >1 000 W).
- Autres (gants, chaussures fermées, pantalon) : seulement recommandés.

Rédigé par Darianna Myszka le Mardi 9 Septembre 2025 à 14:57 | Lu 4423 fois